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PARIS MAI 1968

Si les assemblées générales et les réunions en comités sont à la source de nombre d’opinions et slogans affirmant un désir révolutionnaire, je deviens de plus en plus dubitatif vis-à-vis de ce ballet improductif consistant à défiler passivement en proclamant un changement de société (voire simplement l’abrogation d’une loi ou plus piteusement encore une augmentation de salaire) dans l’attente que le pouvoir en place se décide ou non à prêter attention à nos doléances. Étrange paradoxe que de voir le peuple s’approprier la rue … pour n’y faire que peu de choses. Pourtant une énergie considérable prometteuse de belles possibilités. Mais au mieux une vaste randonnée dominicale. Certes l’occasion de rencontres éventuelles mais peu d’initiatives. Quelques sit-in permettent parfois de rendre la rue à ses piétons. À savoir des pique-niques et de la musique improvisée. Nous distribuons des pamphlets de bandes dessinées détournées. Mais parallèlement nous pressentons l’ambigüité de ce pouvoir cherchant à se reproduire. On cherche à connaître ce que l’on veut et déjà on vient de toute part nous imposer un calendrier politique. Les meneurs avec leur programme invitant autant à la réflexion et au partage qu’à des directives cherchant déjà à soumettre l’individu à un nouvel ordre pas forcément bienveillant.
Dans les mois qui suivirent, j’eus la curiosité d’assister à une manifestation d’extrême droite. Ils avaient l’air de bien s’amuser se partageant les informations tactiques pour se constituer spontanément en groupuscules très mobiles. Mes camarades de gauche affectionnaient quant à eux l’érection de leur propre piège, se laissant enfermer dans leurs barricades. Seuls quelques maoïstes, libertaires et autres esprits libres eurent des initiatives propres à tenter satisfaire l’engouement à un nouveau paradigme, tels le pillage de Fauchon pour distribuer cette nourriture de luxe aux habitants des bidonvilles ou les tentatives de contrôle ratées de centres névralgiques du pouvoir comme les PTT ou l’ORTF pour pouvoir diffuser l’information toujours entre les mains de l’État. Si les conflits nocturnes furent rapportés relativement objectivement par les radios en direct et les médias, l’information se contentait généralement du spectaculaire. Il fallait être sur place, dans ces vastes forums aux idées dans les comités de classes, à la Sorbonne et au Théâtre de l’Odéon pour connaître ce qu’une passion collective pouvait générer d’idées créatives et de projets.

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