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Adrien continue : « la violence à l’école ou au lycée est une évidence avec les moqueries envers celui qui est différent, coupe de cheveux, corpulence, vivacité … En revanche, je ne me rappelle pas que des enfants aient été attaqués parce qu’ils étaient juifs ou musulmans ou autres. Des Juifs jouaient au basket avec des camarades de classe à l’aumônerie sans pour autant qu’aucun travail de conversion n’ait été engagé. On pouvait toutefois entendre « eh, le Portos ! » ou « salue l’Espingouin ! » lors d’invectives à l’encontre des personnes de nationalité portugaise ou espagnole, mais sans la connotation d’aujourd’hui, car il s’agissait davantage d’une extension malheureuse d’un argot parisien qu’une insulte.
Un positionnement anti-arabe était couramment pratiqué par un bon nombre d’habitants de ce quartier populaire, alimenté pour l’essentiel par la guerre d’Algérie. Chaque famille avait un proche ou une connaissance qui avait été appelé au Front, et les échanges avec ces appelés révélaient des atrocités de part et d’autre. J’ai eu un instituteur qui était revenu très perturbé de son engagement forcé, piquant des colères démesurées pour des peccadilles. Je me rappelle d’une manifestation de femmes arabes, toutes habillées de blanc, sous mes fenêtres, devant la prison de la Roquette, qui avaient été jetées manu militari dans des paniers à salade après avoir réclamé la libération des prisonnières sympathisantes du FLN. Un jour, une échelle en tissu qui pendait de l’une des cellules témoignait d’une évasion de plusieurs d’entre elles. Du temps de l’OAS je me trouvais un jour face à la police mitraillette pointée coupant la roquette en deux, tout en laissant la population passer pour faire son marché.

Par rapport aux événements de novembre 2015, je ne sais quel lien suggérer mis à part celui tant évoqué du « vivre ensemble », sorte de tradition ouvrière non dite mais commune à toutes les étapes du quartier.

Dans les années 60, l’école communale mêlait tous les enfants de toutes conditions, ceux qui iraient au lycée et ceux qui passeraient le « certif ». Au lycée Voltaire, cohabitaient sans aucun problème jusqu’à la guerre des 6 jours (1967) des élèves fils d’anciens de la guerre d’Espagne ou Portugais échappés de la dictature de Salazar, des jeunes à kippa qui s’absentaient sans problème aucun le samedi, des jeunes de familles du Maghreb …. Tout ce que Belleville comptait de nationalités et de religions. En juin 1967, la sortie des élèves avait été retardée en raison de manifestations violentes anti-Israël aux alentours du lycée. À partir de cette date, plusieurs incidents ont émaillé la vie de la communauté scolaire.

Pas facile de « réceptionner » la violence, surtout lorsqu’elle émane d’adultes. Les enfants, entre eux, n’ont pas toujours la perception du niveau de « mal » qu’ils peuvent infliger parfois même sans le vouloir vraiment. Mais les grands ? Parents, instituteurs, professeurs, encadrants de toutes sortes ne doivent pas oublier les obligations liées à leur statut de « guide ». Plus personnellement, je regrette que cette activité de rue (que l’on retrouve un peu dans le très beau film « le ballon rouge ») n’ait pas été accompagnée par une prise en charge par ma famille de l’apprentissage des choses de la vie, telles la nature, les sciences, la technique, ce qui aurait facilité mon devenir et mon orientation professionnelle. C’est une autre violence, celle de l’exclusion au savoir. Dans un ouvrage sur Flaubert, Jean-Paul Sartre s’insurge contre les parents de l’écrivain qui disaient à leur fils : « va voir dans la pièce si j’y suis », s’étonnant que le jeune Gustave y allât. D’où le titre de l’étude de Sartre « L’idiot de la famille ». Peut-être que les jeunes qui ont tiré sur d’autres au Bataclan et dans les terrasses n’ont-ils jamais rencontré sur leur chemin des adultes qui leur ont parlé d’amour. Je te rappelle également le second manifeste du surréalisme (1929) où André Breton écrivait : "L'acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule." »

On ne peut que partager ses points de vue bien sur. En particulier la responsabilité des adultes. Il serait de bon augure s’ils enseignaient à leur progéniture l’art des choix et de la prise de responsabilité ; mais sans amour tout enseignement peut dériver en de sombres malentendus. Plus que parler d’amour, aimer tout court est fondamental – pour pouvoir en parler correctement. Alors je me pose la question : y a-t-il en soi suffisamment d’amour pour s’en sortir sans celui des autres ? Avons-nous choisi d’agir avec bonté parce qu’ayant eu le privilège de pouvoir aimer ? Certains issus des pires conditions choisissent bien pourtant de faire le bien. Celui qui fait le mal n’est-il pas simplement un connard ?

 
 
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