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PARIS XIe ARRONDISSEMENT – JANVIER 1959

Depuis le premier étage la rue est une vaste extension de jeu et de communication. On s’y fait interpeller comme d’une pièce adjacente et l’on garde contact avec les voisins d’en face.
Les appels d’Adrien et d’Éric me convient à les rejoindre en urgence, car il neige. Le regard porté vers ma fenêtre, leurs larges sourires en disent long sur les opportunités que confère l’inattendu de cet hiver blanc. Comme si toute une mise en scène s’était installée à notre insu. À croire que mes amis seraient les instigateurs de ce stratagème climatique. Je me précipite pour aller les rejoindre.
Mon premier ami était comme moi quadrupède. Adrien s’est présenté en bon hôte lors de notre première visite chez son père - le docteur de famille. Nous avions tous deux à peu près 2 semaines. Plus tard, quand aptes à graviter l’un vers l’autre à quatre pattes, nous découvrîmes notre amitié.
On me l’a raconté.
Concernant Éric je n’ai aucun souvenir ni d’histoire rapportée. Il n’est donc apparu de rien, une énigme.
Adrien c’était une raison d’être poétique et par la suite intellectuelle. Éric suivra une ligne intuitive et organique. Nous pouvions danser à trois. Chacun possédait son art. Chacun créait, l’un par ses songes, l’autre par ses entreprises, le troisième par la parole.
Et nous connaissions une autre ville. Les rues du onzième peuvent témoigner de l’ardeur de nos idées communes - de notre gratitude envers ses volumineux terrains d’exploration - de son bitume, ample tableau noir sur lequel s’inscrivaient les géographies de notre enthousiasme - de ses portes cochères encore en ce temps accessibles et cachant toutes ces cours, jardins et fontaines - les établis finalement - nuancier du labeur humain.
Féminin, masculin.
Adrien est longiligne, fragile et brun. Il me porte en moi. Je le porte en lui.
Éric est robuste, agile et blond. Il m’envole vers l’ailleurs.
Deux territoires que ces guides m’offrirent sans concessions.
Peut-être étions-nous, chacun, l’arbitre des 2 autres ? Ou bien l’intercesseur ? Si en général ce sera chez moi que l’on jouera, chacun de nous connaissait pertinemment son terrain de désir et puisait chez les deux autres pour le rendre visible.
Nos rapports finirent singulièrement mais inéluctablement par s’effilocher à l’orée de nos adolescences. C’est en somme naturel puisque, fraternellement attachés, et composant à trois l’univers masculin de notre enfance, de cette considérable expérience, progressivement, se dévoileront nos destins spécifiques. Si de devenir homme nous a séparé c’est sans doute par omniscience. Nous n’avons pas trahi nos liens de garçons. Et par conséquent nous n’avons pas brouillé l’image pure de nos amitiés enfantines. C’est ainsi, sans doute par pudeur que, de se retrouver, on aurait du mal à se voir autrement. Je nous pense comme un ample ressac dont la vague déferla 15 ans, pour ensuite se retirer au sein de l’océan. Celui toujours nourricier d’une mémoire vivante et partagée. Ce rythme d’amour, tel un chef d’orchestre, dirige depuis, notre éternelle symphonie. Nous sommes faits des deux autres – même si l’on se perd souvent de vue.
S’il n’est pas possible de donner si tranquillement son cœur sans en ressentir parfois l’absence, la place d’amour réservée à ces deux larrons de vie est inexpugnable. C’est normal ils ont eu l’élégance de la préserver.

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