JEUX D'OPTIQUE ET DES CORPS
Il n’y a pas, à proprement parler, de salle de spectacle ni de lobby, seulement une petite salle d’attente où s’activent apparemment les vendeurs de tickets. Mais ils ne s’occupent pas de nous et sont affairés par mille autres choses. Ce sont des acteurs et le spectacle a débuté. Nous reste à comprendre la suite des évènements. Pour commencer il faut ouvrir une petite porte avec « entrée interdite » inscrit sur un carton, puis vont se succéder une série de pièces avec autant de petites histoires, de drames et de comédies : un joueur de tromblon accompagné d’une femme nue, de dos, à tête de renard, et poussant des soupirs, admirant par une lucarne une nuit et sa lune peinte par un militaire en pleurs – ailleurs une vamp très bavarde vous sollicite dans un langage inventé pour vous amener … à la prochaine pièce – où un rideau rouge sépare l’espace en deux – il s’ouvre et, depuis la scène où vous vous trouvez, en contrebas, des enfants en queue de pie vous applaudissent – mais dans les coulisses un gangster vous agrippe furieux, et tente de vous gifler, quand son partenaire intervient et qu’un troisième vous pousse vers une autre porte, alors qu’il vous glisse des confettis dans les poches – plus tard un policier procédera (avec difficulté, étant encombré de plusieurs machines à coudre) sur vous à une fouille, car un meurtre vient d’être commis ; on voit d’ailleurs à proximité le cadavre d’une sirène, avec un sac plein des mêmes fragments de papiers colorés l’ayant étouffé – il en découvre sur une tourterelle qu’il vient d’extirper de votre oreille, et vous emmène à une porte marquée « prison » derrière laquelle se trouve la rue.
Est-ce un rêve ou les impressions d’une étrange soirée au théâtre ? Cet itinéraire dans les compartiments de notre psyché, je viens de l’inventer, mais il reproduit fidèlement l’état des lieux dans cette ville d’où convergent et se mêlent l’intériorité innovante de tant de créateurs. Avec une telle affluence d’œuvres, durant ces années, il m’est rarement possible de retenir une séquence artistique particulière. Le Milky Way par exemple offre en général 3 films et deux spectacles qui se superposent dans la soirée. Je ne tiens pas en place plus de trois minutes. Je reste dans une salle le temps d’y recevoir une stimulation poétique pour l’ajouter à une autre émotion plus loin, en y mêlant toujours mes propres visions, me constituant ainsi ma propre représentation. Une sorte de zapping interactif où je ne cesse de me déplacer, engendrant de la sorte un espace constamment renouvelé. Il y a ce besoin irrépressible de happer le segment poétique qui naitra de ce foisonnement d’émotions et d’en extraire une nouvelle histoire et de nouvelles allégories à représenter sur un plateau quelque part, ailleurs.
Chaque mode d’expression (projection – voix – instrument – danse – mime) et chaque élément de ces modalités (images – mots – gestes – son) pris indépendamment et réunis aléatoirement, autorisent les nouveaux assemblages d’une pensée libre (le geste n’implique pas un autre geste logique – le mot n’en précède pas nécessairement un autre) et des techniques libérées de leurs fonctions (on ne projette pas nécessairement sur un écran, mais on superpose l’image d’un immeuble le jour, avec des personnages aux fenêtres, sur l’orignal, la nuit quand les volets sont fermés). La scène (de théâtre, de rue, celle dont on dispose chez soi, dans une voiture, sur une péniche glissant sur l’eau ou dans une clairière) est le lieu de conjonction de toutes les possibilités multi médiatiques. Tout ceci préfigure les potentialités et opportunités qu’offrira plus tard l’informatique (le Mac sera lancé 6 ans plus tard). Je n’ai qu’une vague idée du concept mais il me fascine. Nous manipulons déjà, sans le savoir, une information réduite à sa trace la plus élémentaire – pas encore le pixel - et permettant toutes les combinaisons possibles. Plus tard, le moniteur se substituant aux planches deviendra alors le nouvel espace de toutes les réalisations. Je bouillonne d’idées et sur mon gros carnet bleu n’arrête pas de prendre des notes. Nous ne cessons de partager nos inventions.