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Il y avait également les violences domestiques. L’incroyable sévérité des parents. La violence imbécile. La violence misérable. Plus tard les aprioris envers les cheveux longs. Mais durant notre jeunesse, certains de ces chefs de bandes m’ont appris les vertus d’une insouciance courageuse. Par exemple, Renault. Se faisant régulièrement insulter par un prof trouvant spirituel de l’appeler 4 chevaux, il empruntait par réaction l’air solennel que le « pédagogue » aurait rêvé le voir adopter durant ses cours. Il se tenait alors, la tête droite et sereine mais avec l’ennui d’une déférence concédée envers un adulte stupide. Il aimait me raccompagner jusqu'à mon immeuble tout en grimpant les palissades fines de quelques centimètres entourant les zones de reconstruction, hautes d’un côté de deux à trois fois sa taille et cédant la place à un gouffre de plusieurs étages de l’autre. Exercice dangereux où, expédiant les distances à la même vitesse que mes pas au sol, pour final, en équilibre, il se mettait à uriner. Plus que l’acte fascinant du funambule je me demandais comment il faisait pour pisser sur commande.

Nous nous étions perdus de vue, puis des années plus tard, adolescent, dans une cour d’église surélevée et entourée de hautes grilles, je le retrouve accompagné d’une bande menaçante, comme le quartier savait les concocter, lui déjà haut perché m’interpellant pour savoir comment j’allais. Le clash était avant tout vestimentaire. Eux, habillés en blousons et bottes, excepté Renault toujours en chemise dépenaillée et pantalon d’été, quelle que soit la saison, et moi, frange Brian Jones, veste dandy couleur caca d’oie doublée mauve et pantalon bleu marine rayé blanc. J’étais l’excuse parfaite pour me faire hameçonner. Après lui avoir murmuré mes salutations et me demandant ce qui allait dominer, la friction des différences ou la mémoire filiale de notre jeunesse, je me retire et, descendant les escaliers, pousse nonchalamment de coté un monstre au sourire de faune lobotomisé qui, très disposé à la curée, cherchait à me bloquer le passage. Ce qui suit restera gravé en moi comme l’un des exemples le plus marquant du courage né d’une générosité inconditionnelle. Je sens comme un courant d’air dans mes cheveux et, en me retournant, vois le dingue en furie avec son bras tendu vers ma tête, et au-dessus de lui Renault se rétablir sur la fine rambarde. Ayant sauté les dix mètres sans hésiter il bloque le geste de son compagnon. « Ne touche pas à Jean-Charles ». Je savais qu’il me fallait partir pour ne pas nous mettre en difficulté. Homme d’une espèce rare, n’hésitant pas à risquer sa vie depuis une telle hauteur, son comportement habite les miens pour toujours. J’aimerais tant savoir où l’a conduit son destin.


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CONVERSATION AVEC UN AMI D’ENFANCE

Lors d’une conversation, mon ami d’enfance, Adrien, du même âge et à l’époque logé dans le même pâté de maisons, et depuis journaliste à l’AFP, me divulgue sa mélancolie concernant sa jeunesse :
« J’ai probablement dû mettre de côté dans mon esprit les situations de violence auxquelles tu fais allusion. J’ai beaucoup oublié, peut-être pour me préserver, l’évocation de mon enfance me rendant mélancolique. Je ne suis pas au stade du regret car un enfant peut difficilement être acteur de sa condition. »

Lui évoquer la violence des années cinquante avait pour but d’aborder cette cruauté naïve inconsciente consistant à se tirer dessus pour s’amuser – naïve uniquement dans le sens où on ne rendait pas compte de ce que cela représentait. On pourrait dire effectivement, au contraire, intelligent puisqu’une parodie du combat.
 
 
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