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J’étais attiré par leur extraordinaire défiance vis-à-vis de l’autorité ; mais plus important, interpellé par ce regard direct ambitionnant une forme d’estime réciproque. Roublards/politiciens nés, populistes, rassembleurs, grandes gueules et vifs. Leur besoin au respect conférait aux plus intelligents cette vertu à galvaniser les foules. Une fois une camaraderie reconnue nous pouvions partager nos curiosités et questions ainsi qu’une gratitude à partager des moments d’intrigue et de reconnaissance. On se marrait et on s’attendrissait. J’héritais régulièrement du statut de sous-chef ou celui d’éminence grise. Un cadeau relativement aussi embarrassant que celui d’un oiseau mort offert par le félin sauvage du coin. Le vrai cadeau était bien sûr leur fraternité inconditionnelle.

À cause de mes très pauvres prestations grammaticales et orthographiques je leur donnais, il est vrai, l’occasion à des éclats de rires collectifs. Décrivant nos logis respectifs et spécifiquement les différents points d’eau, j’utilisais par exemple le mot bassine au lieu d’évier. Du coup on se retrouvait tous pliés par l’hilarité. N’étant pas non plus au fait de l’actualité cinématographique, durant les classes, j’en fascinais plus d’un quant à la tolérance des maîtresses à m’entendre décrire un rendez-vous avec le directeur de l’école en l’appelant Cheetah la Guénon, nom que sincèrement je croyais être le sien.

Mais au sein de ces bandes rodaient des malades, des teigneux et des vicieux ou tout simplement des désaxés vides de perspectives. L’un d’eux, Choukroun, me planta sa plume imbibé d’encre dans le doigt par exaspération mais de façon la plus naturelle et, m’étant mis à l’invectiver, il me regarda ahuri sans savoir expliquer son geste. J’ai par ailleurs subi les remontrances de notre maitresse pour avoir rapporté !
Plus jeune, un des amis d’Avril, ma sœur – mon ainée de dix ans – s’était mis dans la tête de me harceler par pur plaisir sadique. Rien en fait de sérieux – simplement me faire peur – mais face à cette corpulence menaçante il me fallait organiser rapidement ma défense afin d’éviter qu’il ne récidive. Question gabarit mon père fit l’affaire. il me demanda de ressortir dans la rue et de l’attendre tandis qu’il se cacha dans l’entrée de l’immeuble. Quand le débile voulu me sauter dessus mon père l’alpagua puis le traîna chez sa mère, une concierge faisant face à notre immeuble– et les engueula tous deux sans distinction. J’avais ce mélange de mépris et de peine pour lui à le voir pleurer ses grosses larmes. Plus tard il tenta de me faire des signes amicaux mais je ne me sentis pas lui répondre par méfiance tout en me demandant si étrangement ce gros rustre bien plus grand que moi n’avait pas besoin que je lui rende un sourire amical.

D’autres anecdotes, comme ces pauvres types de la cour des miracles, un HLM ainsi nommé du fait de sa réputation peu accueillante – peut-être se souvenaient-ils d’un assaut mené par Pat, un compagnon de jeux passagers, très enveloppé et accompagné d’un petit chien. Il s’était mis dans l’idée audacieuse d’attaquer les gosses de la cour. Nous y avons étonnamment semé la terreur simplement en fonçant dans le tas. J’y croyais pas de les voir s’éparpiller, m’étant méfié d’eux jusqu’alors, de leurs charges agressives me faisant courir jusqu’au portique de mon immeuble qu’ils n’osaient jamais transgresser. Quelques années plus tard je les retrouvais dans un café autour du flipper sur lequel je jouais. Me cherchant noises, ces fidèles emmerdeurs tiltèrent mon jeu alors quand ce fut leur tour je fis de même. Sur le point de se mettre à me rosser je divertis leur attention en concentrant mon regard derrière leur dos et profitant qu’ils se retournent déguerpis – mais perdit du coup mon peigne en argent ciselé. Je dus revenir pour leur demander s’ils l’avaient retrouvé. Leur désir de vengeance physique pris celui d’un jeu d’une ampleur métaphysique Prétendant savoir à peu près où il se trouvait, ils me suggéraient des pistes. Il semblait évident qu’ils l’avaient récupéré. Je ne me souviens pas s’ils me l’ont rendu. Quel ne fut pas notre étonnement lorsque le plus teigneux du lot et moi-même nous sommes retrouvé chez Adrien, mon meilleur ami ! Il est vrai que celui-ci, fils de mon docteur, devait connaître tous les mômes du quartier et bénéficiait sans doute d’un certain respect dû à sa position.

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