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Il faut dire que peu d’équipements de loisirs étaient disponibles pour les jeunes enfants qui, en fait, comptaient peu. La maison des jeunes de la rue Mercœur et son ping-pong étaient fermés lors des vacances scolaires. Eduquer les jeunes par la distraction, en les amusant, en les captivant, n’était pas une notion prioritaire de l’époque. Les « grands », ceux qui avaient plus de 16 ans, avaient la chance avec leurs premières payes d’enfourcher des motos flamboyantes type « Paloma », au bruit d’enfer mais aux performances surement pas à la hauteur. Restaient pour moi le cinéma et ses superbes affiches de style, collées chaque semaine sur les murs qui annonçaient la projection de « Marius », « l’Eau Vive », « La Famille Trappe », « Docteur Knock », « Sissi »…. J’avais un abonnement commun au Saint-Ambroise et au Bataclan. 
Côté loisirs de rue, il y avait aussi les patins à roulettes, ludiques au même titre que la glissade ou ce qui deviendra le skate. On frôlait les passants à toute vitesse. Signe de révolte ? Peut-être faisions-nous un peu peur aux plus physiquement fragiles, mais c’était la vie. Les jeunes, ça court, ça glisse, ça crie pas toujours avec discernement…. Tout cela relevait, me semble-t-il, davantage du défoulement que d’un activisme pensé ou agressif. Parfois, on jouait à la sarbacane en patins à roulettes. »

En effet, il y avait les sarbacanes, les pistolets munis de rouleaux de pétards (le mien pouvant même tirer de petits morceaux de patates). Certains vicieux portaient des pistolets à billes de plomb. À l'école, le ballon prisonnier mais surtout le jeu du Berger consistaient en un arrangement ordonné de la brutalité. Nous avions des épées en plastique et lors du Mardi Gras, défilant le long du boulevard du coté de la porte Saint-Martin, ma mère et ma sœur m'affublaient d’un bouclier et d’un glaive en bois. Je m'en servais allègrement pour occire nombre de Zorros et de cow-boys. Certains se faisaient mal à la main croyant casser un bouclier qu’ils imaginaient en carton.

Adrien : « les sarbacanes – j’y ai beaucoup joué – étaient plus « pour emmerder » les riverains qui se retrouvaient avec un surcroit de ménage que pour faire mal, ou pour mettre en œuvre un acte de guerre même symbolique. On se défiait aussi pour savoir lequel serait assez habile pour faire entrer une flèche dans un appartement aux fenêtres juste entr’ouvertes. Parfois, on visait les hauts chignons à la mode (style héroïne hitchcockienne) où la flèche en papier se plantait en douceur.

Les munitions en papier qu’un résidant retrouvait chez lui signalaient l’existence de mômes qui tournaient dans le quartier, une émancipation légère, sans réelle conséquence sauf celle de dire pour leurs auteurs « on existe ». On peut dramatiser la chose en estimant qu’il s’agissait de montrer symboliquement que « même chez vous, vous ne serez jamais tranquilles », mais il n’en était rien. »

La plupart d’entre nous étaient pacifistes. Ma mère me rappelait qu’ayant acquis une télévision je m’inquiétais du sort des Indiens se faisant tuer. Je ne me réjouissais pas de la mort de ces « ennemis » hypothétiques et au contraire ne supportait ni l’exhibition de cette atrocité ni la jouissance dont certains en tiraient. Je me souviens d’un autre ami, Éric, exulter de joie à la mort d’un « méchant » fraichement tué par un « bon » chevalier lors d’un feuilleton style Ivanhoé. Je me souviens du paradoxe entre sa jouissance froide et mon effort à réaliser que ce n’était qu’un film dont je ne comprenais pas les aboutissants.
J’apprenais le discernement.
Quand est-il de ce discernement de nos jours dans une société spectaculaire où chacun s’identifie à un consommateur de scoops dont il est lui-même un acteur ?
Ce qui était un jeu pour nous est devenu pour d’autres une réalité. Pour ceux-là le jeu devient celui de mettre en forme les fantasmes issus de leur part d’ombre qui, validés par un discours malhonnête, leur autorise les pires exactions primitives. Les assassinats récents m’apparaissent comme la mise en scène de leurs terrains de jeux.
 
 
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