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Plus tard, de ce filtrage des vocations, finit par émerger, avec plus ou moins de réussite un peu d’audace. Malgré l’aliénation collective d’une puberté militarisée, la libido, se démenant au sein du kaléidoscope des espoirs et des confusions, graduellement discerne de nouveau l’intuition par laquelle on reconnaît la personne aimée, le paysage inspirant encore jamais rencontré. Manque de bol n’existe pas de cursus concernant l’épanouissement d’un tel talent qu’est l’aptitude à aimer. Pourtant s’il est une chose innée en voila une qui s’émancipait avec tant de ferveur quand nous étions innocents. Nous échangions alors des sentiments qui, si nous avions eu l’usage des mots secrets, nous auraient fait déclamer : « je t’aime pour ta force de croyance. Pour croire malgré toi. Pour cette intelligence intuitive parfois muette face au vacarme de ta conscience. Pour cette douleur s’inscrivant dans la beauté. Je t’aime pour ce que tu aimes. Pour être du côté des innocents, des petits, discrets comme les insectes colorés, mais aussi des forts, mais ceux silencieux, ou plutôt qui n’ont pas les mots pour se défendre, tels la nature, le vent, la neige, les intempéries. Je t’aime de ne pas oublier d’aimer. »

Nos amitiés d’enfance sont nées de cette charte émotionnelle insouciante.

À retrouver à l’adolescence ce contrat sans concession est bien difficile face aux inquiétudes de l’avenir. Commence le ballet des retrouvailles et des trahisons. Lorsque l’on perd cette personne ou ce territoire, c’est en toute conscience maintenant que partie ou tout de nous-mêmes disparaît. Pleurer devient la révélation de notre mort. Nous nous lamentons sur notre fin éventuelle. Adieu à ce qui vaille la peine d’exister.

Puisqu’à cet âge l’heure est maintenant propice pour refaire le monde au moyen d’un bistro tolérant la consommation d’un seul café (imbuvable) par après-midi, entouré de néophytes bourdonnants de leurs désirs, incarcérés dans l’angoisse ou l’enthousiasme de l’idée d’un futur dont aucun n’est encore propriétaire, s’installe l’opportunité d’une disposition pour chacun d’idéaliser l’autre.

En compartimentant  notre sexualité nos pédagogues fonctionnaires déformaient une partie de la jeunesse en une sous-classe stérile. Les rejetons d’une telle faune murissent en autant de chasseurs de proies et de butins récalcitrants. Ceux-là ne font que rééditer les rapports angoissés ayant de tout temps contaminés l’histoire. Pour les autres, ceux ayant survécus, l’amitié pré charnelle s’affiche en général, comme le garant de rapports reconnus, inconditionnels, sacrificiels et glorifiés… pour ensuite souvent retomber dans la soupe d’une incompréhension bovine. Les ruminants prennent leur temps.

Alors pour survivre à ces étapes périlleuses mais exaltantes aimer ne peut jamais être une simple satisfaction de l’ego. Reconnaître l’autre est autant une révélation (ou une retrouvaille) de ce qui résonne en nous qu’une inspiration du fruit de nos différences. Nous sommes nous et en nous sont contenus les autres. Ainsi aimer ne se contente pas d’une juxtaposition ; mais nécessite cette exploration qui transcende. Consciemment ou non une telle opération prend la durée d’une vie.  Elle s’étale dans le temps et l’espace inéluctablement. Peu importe les retards et les distances, l’amour se veut permanence. Sauf que Jacques s’intéresse à Julie qui elle ne regarde que Robert qui lui-même n’a d’yeux que pour Jacques. Voilà de quoi déstabiliser les jeunes premiers (et premières) qui, au sein de leurs préoccupations de survie, qui elles règnent sur les besoins instantanés, pleurent le passé et s’inquiètent de l’avenir. Et de la collision entre une sereine certitude de l’existence irrémédiable de l’amour et sa négation peut facilement naître le désarroi ou la lassitude.

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