INDEX HOME JCD

arrow  
040

L’année suivante avec Dorian nous montons un nouveau spectacle. J’affectionne l’idée d’un personnage en noir et blanc, appliquant des couleurs dans son univers monochrome.

Nous montons sur les toits avec échelle, seau rempli d’eau, pinceau et balais. Dorian s’installe sur l’échelle et prend les poses adaptées. Il utilise le balai pour donner l’impression de peindre les grandes surfaces du ciel, ensuite le pinceau pour ce qui sera le soleil. Nous reprenons les mêmes poses mais en plan américain et plus hiératique, style années 30 de l’ère soviétique, le regard au loin plein d’un espoir idéalisé - un pastiche de la glorification du travail pour un avenir meilleur et heureux.
Je confectionne des contretypes de ces images, les agrandis, en tire des pochoirs négatifs et positifs, ceux-ci légèrement réduits de façon à ce que, superposés à ceux-là, j’obtienne des interstices en forme de fins contours découpés. Placés finalement sur une table lumineuse (un pare-brise fixé devant des lampes de 250 watts), seuls les contours deviennent lumineux. Je les prends en photo avec un filtre bleu (en l’occurrence un intercalaire plastique). J’obtiens ainsi l’effet de néons bleu saphir articulés et caricaturant les mêmes figures originales.
Par ailleurs, je reprends les panoramiques de Dorian colorant le ciel et applique une encre bleue pervenche transparente sur les nuages et bleu azur autour, ainsi qu’une tache de jaune d’or en guise de soleil.
Dorian se prend au jeu et désire une nouvelle session des mêmes poses en couleur, mais maquillé et tatoué de façon tribale. Nous remplaçons le pinceau par une lampe allumée, le balai par une sagaie et le sceau par un tam-tam.
Nous obtenons en finale, pour chaque pose, une séquence de quatre photos : photo panoramique, puis plan soviétique, image néon et finalement tribale.
Là-dessus, pour la part scénique,  Dorian veut y superposer le scénario d’un individu blasé par la vie, se prêtant (vis-à-vis des images) à des postures, signifiant un sentiment désabusé de l’échec de ses tentatives d’identifications. Sur scène on le retrouve, durant la projection séquentielle, sur son échelle, nanti d’un parasol dont les baleines sont autant de câbles retenant les dessins et textes qu’il improvise. Chris Spedding joue « Bored bored » et la musique lancinante conforte le jeu scénique.

L’espace pour notre première est un magasin. Je profite des circonstances pour démarrer le show depuis la rue, en projetant à travers la vitrine, au moyen d’un long câble, une série de photos d’une porte s’ouvrant progressivement. Dorian se tient de mon côté, entre la vitrine et l’écran, tandis que le public lui se trouve de l’autre côté, de sorte que celui-ci visualise la silhouette de Dorian tirant sur la poignée de la porte superposée.

Je rentre dans le magasin-théâtre tandis que Dorian traverse la photo de la porte, et par conséquent l’écran qu’il déchire, pour se poser face à un autre. Il prend différentes positions méditatives. Alors apparaissent au-dessus de sa tête diverses bulles de pensées que je projette dans lesquelles différentes scènes apparaissent. Elles constituent les histoires à venir du spectacle, telles des prémonitions. Pour obtenir ces phylactères il fallait bien sûr extraire ces instants de nos répétitions en les photographiant, ensuite couvrir de noir les négatifs en épargnant l’espace des bulles puis faire des contacts en positif. Le noir devenant blanc, et par conséquent transparent, ne reste pour la projection que la scénette en positif - contenue dans la bulle.

Dorian articule son corps autour de thèmes métaphoriques que je souligne de manière impromptue par des rappels visuels. Par exemple, l’ayant photographié au préalable mimant par du sur-place la marche, une fondue enchainée du résultat reproduit l’impression du déplacement. Ainsi, sur scène, à l’occasion d’un arrêt de sa gestuelle qu’il reprend à l’identique pour de nouveau la geler, parallèlement le même geste en projection se répète et se perpétue alors qu’il négocie de nouvelles postures.

Côté mélodie, les plaintes bleu saphir et les absences grèges du Tuxedo Moon, les nostalgies du Marquee Moon de Televison puis les rehauts saccadés du gang of Four donnent le ton des chorégraphies. Ensuite Dorian s’essaie au chant sur une de mes compositions à la guitare, préenregistrée car je manipule le projecteur. Puis pour finir, il reprend ses expressions corporelles. De nouveau il se fige tandis que Tamara, postée derrière l’écran, dessine les contours projetés des silhouettes statiques. Ensuite, au moyen de pochoirs, elle spray des poèmes. Vu depuis l’autre côté de l’écran on assiste à l’élaboration d’une fresque s’exécutant en l’absence de la peintre. Pour mémoriser cette séquence de « Live Painting », nous procédons à la découpe du tableau, puis en distribuons les fragments au public. Nous signons sur demande.

Notre petite troupe s’est agrandie d’amis engagés venus partager, à travers le pays, l’expérience de nos expéditions. C’est un réconfort d’avoir cette organisation. Nous avons même l’usage d’une camionnette. Je ne me souviens pas avoir eu à chercher un seul endroit où jouer, ni comment parvenir à l’heure pour nous produire. C’est bien la plus belle façon de voyager, quand on peut concilier création et plaisirs fraternels.
  arrow
 
arrow arrow