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En attendant nous prenons la mesure de la ville. Nous sortons en bande et visitons d’autres communes. Deux acteurs invitent leur public (deux par deux) à l’arrière de leurs deux chevaux, convertis en micro-salle de spectacle à deux places. Et à l’avant se jouent les scènes de leur pièce.

Ailleurs, dans un lieu public un autre couple converse en onomatopées. Ils semblent s’accorder sur le contenu mais divergent sur un point : l’un insiste en mimant de ses bras un carré, tandis que l’autre persiste en décrivant un ovale. Le dialogue s’envenime puis, n’y tenant plus, le premier, excédé, se lève pour boire dans un verre … à la suite de quoi il crache une prodigieuse flamme. C’est un cracheur de feu ! Quelle idée inouïe que de confectionner une telle narration pour dévoiler la force animant cet exercice. La passion consume. Au lieu de se contenter de la performance d’une dextérité, il lui a fabriqué un contexte révélant la beauté du mystère d’un homme et de son jeu.

Par son âpreté à attirer l’attention, l’énergie de Felix est à l’épicentre du ballet scénique. Ses sketchs sont faits de rien. Et c’est là qu’est son génie – évanescent – précaire mais réel. Quand il est fakir, c’est au moyen d’un fer à repasser - éteint bien sûr, et quand il prétend, en dérision, exhiber ses muscles, tel un culturiste, il se fait invectiver depuis la salle. « Ce spectacle c’est n’importe quoi ! » Alors nous allons tous lui porter secours. Le spectateur se fait boxer au grand désarroi de la directrice qui, affolée me supplie de cesser immédiatement. « Cela fait partie du spectacle – ce n’est pas une véritable altercation ». Elle en pouffe de soulagement … et plus tard de rire.

Au préalable nous soumettons l’audience à dix minutes d’images, sous une déferlante musicale des Ramones, Patty Smith et autres pionniers du punk. Un diaporama présentant les comparses du show, affichant leurs cartes d’identité – les anciennes et les nouvelles – avec les cheveux longs puis hirsutes – les décors de la commune – les détails vestimentaires et architecturaux – comme une présentation de mode de la vie marginale – et nombre d’archétypes et de représentations visuelles des états d’âme vécus en ces lieux.

L’image projetée des lèvres de ma compagne, mais cette fois combinées avec des morceaux de scotch transparents, ou bien des plastiques étirés et déchirés en sandwich entre deux filtres polarisants pivotants, permet à la bouche de s’animer d’un caléidoscope de couleurs changeantes dues à la lumière diffractée puis filtrée.
Plus tard, je supprime l’objectif. Dans le silence, on part d’une image projetée très floue qui se devine par l’interaction des doigts faisant office de filtre. Ils permettent une augmentation de la profondeur de champ, et donc une netteté accrue. Celle-ci, combinée avec le jeu des doigts, en désarticulant l’image, se décompose puis se recompose sur l’écran, avec plus ou moins de netteté. Finalement, nous reprenons l’objectif, et avec celui-ci, très lentement, nous pratiquons une mise au point. L’œil impatient se satisfait d’une netteté confortable avant qu’elle n’ait eu lieu, de sorte qu’une impression d’hyper netteté se produit. C’est un paysage de canal, reflétant une myriade de plantes aquatiques, mais les pupilles et l’attention s’étant dilatées, le paysage irradie de lumière et d’une clarté des formes, lui conférant le relief et l’impression éthérée d’un monde neuf. Le regard est exercé.

La scène suivante – un petit théâtre de marionnette duquel apparaît le visage de Félix. Il manipule en cachette une série d’interrupteurs, allumant et éteignant ainsi des lampes camouflées ultraviolettes et de différentes couleurs. Les tatouages sur sa peau s’animent au rythme des Residents et de Père Ubu, tandis qu’il raconte une histoire muette par le jeu des yeux et de la bouche. Sa tête est une toile sur laquelle s’inscrit une œuvre tendre et abstraite.
D’autres sketchs, où images et mimes dialoguent, et pour terminer, Els joue sa séquence de danse - le sujet : la fable d’un tableau prenant vie (tandis que le tableau de notre vie s’ensommeille) - puis dispose une nappe avec du vin et des gobelets - les spectateurs s’installent sur scène, et nous disparaissons.
C’est à l’audience de continuer, et faire de ce lieu celui de nouvelles opportunités

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