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Le territoire psychologique
discernement et fantasme

La peur du vécu – la peur de la mort
la fascination du vécu – l’idée du bonheur
la normalité concernant les contraires
discernement et fantasme –  le monde, le temps et Dieu


LETTRE DE MA MÈRE BETTY - JANVIER 21 1996

« Mon cher Jean-Charles,

Je viens juste d’écouter un concert au Halbert Hall. Ils jouaient Roméo et Juliette de Tchaïkovski - ce beau thème cadencé et récurrent. Cela m’a promptement ramené à un autre orchestre que nous avions entendu à Londres.

Je ne sais pas si vous-vous en souvenez - vous deviez avoir environ cinq ans et nous étions allés à la capitale anglaise pour les soldes de Janvier.

Nous y rencontrions parfois Miss Fletcher et, cette fois-ci, elle nous invita à voir le spectacle "Half a Sixpence" avec Tommy Trinder**.

Papa l'avait invitée à dîner avant le spectacle et nous sommes tous allés au Corner House, un grand restaurant bien connu, un peu comme la Rotonde à Paris.

Lorsque nous nous assîmes - vous face à l'orchestre, le serveur, plutôt surpris de voir un jeune enfant dans un restaurant le soir, nous apporta le menu … en français. Je n'ai jamais compris pourquoi un menu devait être imprimé en français dans un restaurant Londonien - une forme de snobisme, je suppose. La plupart des gens sont obligés d’en demander la signification et les autres faisant semblant de comprendre leur commande, depuis, se demandent probablement pour le reste de leur vie ce qu'ils avaient mangé.

Pas vous! À la surprise du serveur, vous lui avez demandé, dans votre meilleur accent parisien, exactement ce que vous vouliez. Pour commencer cela fut un artichaut. Pas beaucoup de gens en Angleterre savaient comment couper ce légume en 1956. Il ne faisait que commencer à être considéré comme comestible.

Avril et vous aviez des manières de table irréprochables et fortement appréciés de nos voisins. Contrairement à la Rotonde, le Corner House était considérablement plus calme. Les Anglais n’élèvent pas la voix en public et ainsi nous avons pu écouter l'orchestre - environ 40 musiciens en tout.

Lorsque le morceau musical prit fin, rangeant couteau et fourchette – vous vous êtes redressé et, depuis l'allée, vous êtes mis à applaudir chaleureusement - vos petites mains engendrant bien du bruit. Comme personne ne semble habituellement acclamer ce genre d'orchestre, se créa un silence. Et tous les yeux de se tourner vers le petit garçon blond.

Le chef d'orchestre vous dévisagea puis, d’un mouvement bref, des deux mains, amena les musiciens à se lever. Et tout l'orchestre de s'incliner vers vous. Satisfait vous êtes retourné à votre repas tandis que la plupart des autres convives à leur tour se levèrent pour vous applaudir.

Peut-être ne gardez-vous pas la mémoire de cette péripétie - vous étiez si jeune - mais je pense que la plupart des musiciens - ou du moins ceux qui vivent encore, s'en souviennent. Peut-être ce furent pour eux les seuls applaudissements jamais reçus.

Je vous aime. »


J’imagine qu’à cet âge un restaurant constitue une bien étrange expérience. En particulier si dans ce lieu une congrégation humaine munie d’étranges instruments puisse produire la magie de sonorités harmonieuses. De plus personne ne semblait se rendre compte de l’importance d’un tel évènement. Ces pauvres musiciens furent gratifiés avec autant d’enthousiasme qu’un accordéoniste dans le métro à une heure de pointe. Quoi de plus logique alors que de vouloir faire le nécessaire pour que tous réagissent.

Reconnaître son prochain c’est se reconnaître en lui. C’est trouver cette part de soi résidant en lui. L’intérêt que nous portons aux autres définit les espaces en nous en attente de se manifester. Cet orchestre, sans doute, devait constituer une expérience fascinante. Pourtant personne ne semblait savoir trouver en cet évènement ce qui, en elle la faisait vibrer.

**Comédien et comique britannique

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