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PROLOGUE


PARIS LE BATACLAN - ANNÉE 1975

MC5, le groupe de hard rock de Detroit passe au Bataclan. Ambiance survoltée. La bande que je reconnais pour être celle du quartier Bastille débarque, tous en perfectos et lunettes noires, tentant d’afficher des allures féroces. Durant l’entrée en force - activité consistant à s’inviter à titre gracieux, puisque sans ressources, à passer sans animosité et gratuitement par le poids du nombre - le gang est convié à suivre mes amis autonomes, qui eux préférant s’éloigner du clinquant et de tout artifice spectaculaire, portent plutôt des blousons de baroudeurs. Si, bien que spécialistes de l’autodéfense, ils affectionnent une allure fraternelle, les loubards eux sont territoriaux et s’intéressent peu aux lectures de mes compagnons politiques : Bakounine, Proudhon, Kropotkine, Débord et Vaneigem, ce dernier, ayant affirmé son souhait de tirer du nihilisme des blousons noirs une praxis révolutionnaire.

La salle est comble. Il n’y a pas de siège et tous sont assis à même le sol comme lors des festivals en plein air. Mais manque la décontraction conviviale où de tels lieux promettaient des déambulations et par conséquent la facilité des rencontres. Il n’y a pas moyens de se déplacer parmi la masse compacte des lycéens installés, depuis longtemps visiblement, afin d’assurer la propriété précaire et relative de leurs minuscules bouts de terrains. C’est agaçant cette attitude collective bourgeoise d’appropriation de l’espace. Pourquoi ce statisme ?

Mais voilà, les petits caïds de la rue de Lappe la jouent balaise. La catastrophe d’Altamont reste gravée dans les mémoires. Ils débarquent et fendent la foule pour se placer devant la scène, mimant ainsi (mais sans leurs motos) la morgue des Hells qui eux, s’étant pris pour des cavaliers ardents,  n’avaient rien trouvé de mieux que de tracer dans le public leur indécente autoroute motorisée. La marmaille grince des dents. Elle invective les envahisseurs. Alors un filiforme tout de cuir vêtu monte sur scène, prends le micro et se hasarde à une déclaration qu’il imagine rebelle : « shut up !» - taisez-vous ! Ceci avec un accent des faubourgs.
Temps de pose…puis…
Hilarité générale.
La honte.
Et le groupe entier, humilié, de foncer dans la foule qui instantanément oublie ses prérogatives spatiales, pour un soudain intérêt pour le fond de la salle. Elle est vide la salle. J’en profite pour suggérer aux copains de se placer au-devant de la scène.
Chorégraphie habituelle. Les passifs occupent la place puis les coriaces du cortex font le ménage histoire de montrer, sous prétention d’acte révolutionnaire – à bas la propriété – dégage je prends la place – qui sont les nouveaux apparatchiks. Ce rituel prendra fin lors d’un autre concert, à l’occasion de la fête de l’humanité me semble-t-il, avec Jerry Lee Lewis qui, allongé sur son siège pianotant avec ses pieds, flegmatique, improvisait alors que les bouteilles du public exacerbé, se mettaient à pleuvoir sur les voyous qui ne demandèrent pas leur reste. Incidemment comme j’avais de nouveau profité de l’opportunité pour être tout près de la scène je subissais également le bombardement des missiles - néanmoins interrompu dans leurs trajectoires par les boucliers/couvercles de poubelles des organisateurs bénévoles trouvant plutôt amusant de me protéger.
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