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Retour au Bataclan. Tout le monde est debout. Les mieux placés maintenant c’est nous, les autonomes et les loubards du quartier. Certains s’installent sur la scène.
On peut presque toujours discuter avec une brute, ou du moins échanger des messages de virilités et de respect mutuel. Mais ici deux scénarios vont entrer en collision : celui de l’investissement d’un lieu libéré où chacun exerce sans contrainte le choix de ses déplacements - finie cette passivité face à la star - plus de niveaux - on partage l’espace - et l’autre, celui des loubards, qui ici reproduisent l’idée de leur liberté à dominer les autres.

Sur la scène un des blousons noirs repère Michel, plutôt un tendre nostalgique et peu versé au combat. L’escogriffe le menace puis le gifle. Alors Denis se place face à lui en bombant le torse. L’autre recule intimidé. Complètement inattendu. Les loubards ont l’habitude d’être à la place d’honneur. De plus le projet de vouloir mimer les psychotiques américains vient de se casser la gueule. Décidément c’en est trop pour la bande de quartier. Deux fois qu’ils se font ridiculiser devant tout le monde. Le chef est à coté de moi. Il a bien soigné son look Jim Morisson avec chemise hors du pantalon et dépassant le cuir du blouson. Ses boucles, sa bouche chargée et une sorte d’inclinaison du visage lui confèrent un regard angélique. Mais cupidon demande une ceinture et se précipite comme un illuminé sur Denis. Les autres suivent à la charge. Je me tourne pour signaler qu’il nous faut intervenir, ce qui a pour conséquence de diviser le groupe adverse en deux. Seuls trois partent vers Denis et ceux restant cherchent à nous bloquer du haut de la scène à coup de botte mais sans trop de convictions. Aucun des trois ne réussira à approcher sérieusement Denis qui maitrise très raisonnablement l’aïkido comme le karaté, mais il est obligé de déguerpir hors du théâtre.
Sur ce, MC5 démarre avec « Kick out the jams ».
L’attention se porte finalement sur le spectacle. Tout le reste s’est dissous dans une sorte d’oubli collectif.
Je m’inquiète pour Dennis mais ses amis m’affirment que tout va bien et m’avertissent qu’ils partent pour un autre rendez-vous. Ils nous quittent pour aller le rejoindre.
Le show terminé nous décampons finalement.
Apparemment dehors il y a eu des échauffourées car les CRS sont alignés. Pourtant les rues sont désertes. Je pressens qu’il s’est passé quelque chose. La situation est incongrue. Les autonomes sont sortis ainsi que les autres abrutis. Se sont-ils expliqués ? Mais faire intervenir des légions pour cela ? Et le public qui va sortir n’a pas plus de 18 ans en moyenne.
La multitude, à la vue des garnisons, réagit. Elle scande CRS-SS tout en balisant, puis trotte dans le sens opposé. Pathétique.
Le lendemain on m’annonce que Serge est mort.
Serge, je le rencontrais régulièrement mais toujours par hasard, comme c’était la norme en ces jours. Et toujours il tenait le même livre. Il affirmait le relire sans cesse. Une histoire sur les soviets. Pas celle corrompue des dictatures, mais celle d’origine – les conseils ouvriers, les délégués révocables à tout instant, la réunion des bonnes volontés pour un exercice de démocratie radicale.
M’est relaté que cet ami proche de Michel, scandalisé, voulait s’expliquer avec le gang de la Bastille.
Serge mort par intelligence. Celle naïve de son idéal de fraternité. Doux comme un agneau mais quand face à une controverse il ne connaît que la rhétorique passionnée d’un Saint Juste. Ce qui n’est pas du gout des sans-culottes en Perfectos. Je l'imagine les invectivant, outré par l'attitude politiquement puérile, lâche et sans âme du gang s'en étant pris à plusieurs contre son ami. Un teigneux sans doute, d'un coup de couteau, met fin abruptement à l'altercation ainsi qu'à la vie de Serge....Comment ce couard a-t-il pu réduire d'un geste, si facilement, si gratuitement son existence? On m'explique que c'est le ventre qu'il a touché. Incompréhensible. On ne meurt pas ainsi en plein Paris au milieu de tous!

Pourtant l’histoire, qui aime tant bégayer, nous contredira.

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