CE TEMPLE DES CURIOSITÉS
J’aurais voulu découvrir en l’école ce temple des curiosités d’où bambins notre seule angoisse fut de pressentir confusément, dans l’affirmation de petites épiphanies encore enfantines, un destin hors du commun. Une école du porche duquel eut été placardée au-dessus une citation : « une rivière coule et nous flottons ensemble, découvrant les méandres de son delta. »
Si mes parents prenaient le plaisir de m’expliquer une vue des choses, à l’école des paroles ambiguës se sont immiscées dans mon inconscient. Elles n’eurent pas de sens ni de direction autre que celle d’une inquiétude à m’être trompé. À coup de sanctions et de punitions nous n’apprenons qu’à parodier la normalité. Le clivage entre ce qu’il faut faire et ne pas faire ; ce qu’il faut penser et ne pas penser. On est curieusement enchainé aux autres, les maitres et censeurs, tout en étant mis en isolation … de soi-même. Paradoxalement l’on s’attendra à ce que nous nous comportions avec l’évidence d’une rationalité qui ne devrait trouver de sens que par le contrôle de notre conscience. Pour dire vrai on se fout pas mal de notre conscience mais bien de notre aptitude à la contrôler. Si l’on finit par découvrir éventuellement que nul n’est censé ignorer la loi, le projet de moulage de nos adolescences se trame sur un autre registre bien plus insidieux : nul n’est censé ignorer la morale.
Pourtant de la morale on n’en connaît que celle exprimée par les préoccupations de l’autre. La mienne, celle que je découvre, comment ne pas en pervertir son innocence, si influencée par le jeu des approbations ou contradictions des autres ? Rare si l’on nous suggère qu’une idée, un sentiment, en vaut un autre. Une morale individuelle compassionnelle c’est la morale universelle. Trop inquiétant pour l’ordre des choses.
Il y a tant de choses que je ne connais pas. Sentiment d’éveil et de curiosité mais aussi de honte. Et la honte ne m’a jamais aidé à y voir clair dans un enseignement scolaire. La honte m’est utile si j’inflige du mal envers un autre, mais de suggérer qu’une lacune serait un mal envers je ne sais quel concept de réussite ne me dispose qu’à m’identifier à l’ignorance.
Pourtant une lacune n’est que cette belle boîte ouverte qui n’attend qu’à être remplie de créations.
La peur de ne rien savoir. Pourquoi cette idée vient à l’esprit alors que le sentiment est bien au contraire celui du blocage d’un trop savoir, celui d’un monde d’idées et d’émotions (et donc de connaissances) confinées dans une autre boîte, celle-ci fermée, dont le ruban comporte un nœud qui, quand il est noué, semble impénétrable ?
Savoir est une entreprise d’amour. Elle s’enseigne par une prétention à vouloir se déplacer et s’unir avec ces objets et ces corps non encore identifiés. Elle nécessite pour cela une connaissance de nous-mêmes, un index de nos particularités et par conséquent un apprentissage par la découverte de nos cheminements vers l’inconnu.
Tant de méthodes à explorer. Celles de nos états d’âme et de nos humeurs. Ceux-ci devraient être les références de bases quant à nos choix d’apprentissage. On peut se sentir totalement investi et exalté comme au contraire en état de langueur et par conséquent user de nos différentes intelligences. Notre logique, notre mémoire de l’espace, celle de nos gestes, notre sens de l’humour ou notre intuition. On apprend par perméabilité. On se laisse pénétrer comme on pénètre selon notre adaptation à l’occasion. On apprend par le rêve, la poésie, le raisonnement ou la rigueur logique. Et si ces états étaient reconnus comme des méthodes pédagogiques nous n’aurions de cesse d’apprendre qu’en faisant l’expérience de la séduction. Oui enseigner est une entreprise d’amour.
Et quand cet enseignement est partagé on découvre que le savoir passe par autant de chemins et s’absorbe par autant de moments qu’il y a d’individus en prise avec leurs états changeants. On peut espérer accepter alors le talent de l’autre que nous ne possédons pas. On peut finalement réaliser qu’aimer signifie comprendre qu’il n’y a parfois pas à comprendre. Que pour aimer vivre et vivre pour aimer nous pouvons opter pour un jeu de compréhensions contradictoires sans cesse renouvelé et toujours ponctué de généreuse insouciance.