UN PRÉSENT PERMANENT
Il n’y a pas de passé – seulement un présent qui se réactualise. Le souvenir du passé n’est autre que notre présent depuis lequel une réalité d’un autre moment qui fut alors le présent est réinterprétée. Nous pouvons écrire à l’imparfait mais on pense au présent. Ce qui fut existe en nous présentement.
La conscience de notre vécu passe par un séquençage permanent de notre interprétation des phénomènes. Une réalité a autant de facettes que d’interprétations. Et au fil de nos expériences nous réévaluons nos souvenirs - ces souvenirs étant des événements appréciés dans un temps qui fut présent et renouvelé dans le présent qui suit.
La mémoire réactualise un évènement – ou choisit de mettre celui-ci hors de notre conscience. C’est se souvenir et c’est oublier. L’oubli n’est alors qu’un stockage égaré. Comme on oublie où l’on a rangé certains fichiers.
Nous pouvons oublier l’être cher disparu, mais il reviendra avec acuité lors de circonstances particulières, telle une odeur, révélant de nouveau le cadre et les circonstances dans lesquels il se manifestait, ou bien par le choix délibéré qu’invoquerait notre volonté à re-vivre l’évènement. Mais alors, ici, nous ne sommes pas dans une pratique mémorialiste – nous revisitons dans le présent l’évènement en apparence disparu …
… Ainsi notre ego est un outil de rangement temporel bien pratique. Si le couteau divise le fromage nous n’avons dans l’espace pas plus de fromage. Si notre perception découpe le présent nous n’avons dans le temps pas plus d’instants, qui par conséquent le précédent ou le suivent.
À part lors d’une épiphanie, d’avoir une conscience simultanée de tous nos possibles n’est bien entendu pas pratique pour la mise en oeuvre d’un planning. De découper le temps permet les projets. Grâce à l’illusion d’un temps découpé nous pouvons construite des réalités différentes. Cette illusion étant vitale, elle devient de fait notre réalité.
Mais attention, cette réalité nous divise en portions événementielles au sein d’un calendrier et nous fait perdre de vue notre totalité. Elle nous divise les uns par rapport aux autres. Nous sommes alors réduits à des portions de nous-mêmes dans un temps fractionné. Selon nos peurs ou notre désir d’élucidation, il est tout aussi intrigant qu’effrayant de se sentir parcellaire que global.
Il est paradoxal que le monde des idées, de la pensée et tout ce qui concerne le conscient, alors qu’il n’est que le fruit de perceptions, soit apprécié telles des réalités tangibles. Alors que les émotions, les rêves, l’inspiration et tout ce qui procède de l’inconscient, bien que provenant des exigences de nos organes, sont considérés comme autant de fantasmes. Les besoins de nos organes sont pourtant bien réels. L’expérience de la réalité nécessite un regard sur notre regard ; sur notre manière de concevoir notre identité et le monde ; sur une idée à long terme de nos besoins et de notre raison d’être ; sur un éveil sereinement constant quant à notre propension aux simplifications et à nous figer dans des habitudes. Gouvernés par nos partis pris nous nous attachons à la permanence de nos divisions. Ainsi c’est bien en usant de curiosité que l’on pourra s’accorder à ériger les ponts nécessaires à la cohabitation de nos différences.