SOCIÉTÉS BARBARES
Comment identifier le mal quand il est en nous tous ? Nous tôlerons le mal dans la mesure où nous en bénéficions. Nous adhérons à un mal pour en combattre un autre. Nous le camouflons derrière des concepts très évocateurs. Démocratie, la patrie, Dieu. Ainsi nous nous laissons ballotter par les flux et reflux de l’histoire sans nous rendre compte que nous tournons en rond. Ceux qui se sentent marginalisés, n’ayant pu suivre ou bénéficier des règles d’un système, deviennent un terreau pour d’autres règles.
Plus difficile est de refuser les règles corrompues et de tenter, par association, de réinstaller un pacte intelligent.
Pour se sortir d’une dictature, telle celle de la finance on est prêt à se soumettre à celles de la patrie ou de la religion. Car il est plus facile de dénoncer l’autre que soi-même. C’est la faute à d’autres ou à celle d’un système. Nous cherchons à connaître les causes de ces diverses barbaries présentées autant comme légales au nom d’une normalité qu’illégales au non d’une nécessité ou d’un combat. Les causes sont notre propension primitive au vol et au meurtre. Il y a mille manières de valider ces atrocités. Simplement en clamant avoir raison de s’approprier plus que l’autre ou de l’éliminer. Ne reste plus qu’à passer à l’acte avec plus ou moins de douceur ou de violence selon ce que l’occasion rend admissible. Notre raisonnement au service de nos pulsions.
La loi Fillon sur l'éducation a provoqué un mouvement de protestation en France entre décembre 2004 et avril 2005. Lors de certaines de ces manifestations des dizaines de jeunes ont été violemment agressés et dépouillés par des hordes de voyous. La coordination lycéenne affirme qu'il ne faut pas stigmatiser les pilleurs car leur comportement serait dû au fait qu'ils sont victimes de la pauvreté et du racisme. C’est de la mauvaise foi. Le principe selon lequel certains individus, comme certaines communautés, seraient racistes, et d’autres pas est un principe raciste. Une victime cesse de l’être à partir du moment où elle perpétue le mal qu’elle a elle-même subi. Il n’existe pas d’idéologie chez les racailles. Celles-ci manipulent des concepts pour valider leurs pulsions et cherchent les proies les plus faciles pour compenser leur inhabilité à participer à un redressement des inégalités. On s’en prend au blanc qui, dans le fantasme raciste de certains représente le responsable de son impuissance sociale. Impuissant dans sa condition une voyoucratie choisit de collectivement la haïr et par conséquent de haïr ceux différents d’eux comme la cause de leur mal-être. Leur trouille à exister les mène à cette perverse logique consistant à terroriser les autres pour se rassurer vis-à-vis de leur fragilité. Des lâches. Lâches de ne pas utiliser leur cervelle ou leur cœur. Lâches de céder à leurs instincts les plus bas. Lâches de ne pas reconnaître leur lâcheté. Lâches de ne choisir que la violence et le mensonge comme outil. Des lâches également car incapables ni de voir leur propre faiblesse ni de faire face aux réelles raisons de l’injustice. Des lâches car refusant d’épanouir en eux la force intérieure qui pourtant réside en chaque être humain. Des lâches car ils choisiront toujours une victime en situation de faiblesse. La vielle retraitée dépouillée de son porte-monnaie, ou en bande rackettant un écolier isolé. Mais c’est une grave erreur que de croire que seule la condition sociale soit à l’origine de ce mal-être. L’oncle issu de la haute bourgeoisie violant sa nièce procède de la même logique. Des étudiants américains de familles relativement aisées déciment une population scolarisée à l’arme automatique.
Ne reste de partie de cette jeunesse lumpenisée que les instincts de survie les plus primaires. Ces pulsions sont l’acquisition, la fuite et l’agression. C'est-à-dire le vol, le viol et le meurtre. Rien à voir avec la religion ni l’origine sociale mais avec la haine et le racisme soutenus par de larges communautés issues de la pègre, elles-mêmes aidées avec plus ou moins de bienveillances par les amis et les familles. On s’étonne que les attentats impliquent bien plus d’individus qu’il n’y paraissait. Mais un projet de massacre nécessite du monde. Des informateurs, des tacticiens, des hackers, des espions, des veilleurs, des financiers, des spécialistes en explosifs, des intermédiaires, des costumiers, des publicistes, des artistes, des hébergeurs et des chauffeurs.
La petite frappe qui cède à ces pulsions, tant qu’il survit, en tire les bénéfices du pouvoir. Le pouvoir d’acquérir illicitement (et plus tard légalement) l’argent, la renommée, le sexe et le territoire. Les transactions de drogues impliquent la compétition, la nécessité d’espaces pour dealer et l’achat ou le vol d’armes. L’entreprise s’apparente déjà au grand banditisme. Puis le rapt d’otages et ensuite le trafic d’esclaves. Finalement l’instauration d’un pseudo État avec sa propagande et ses tactiques terroristes. Le fantasme du califat. Du territoire de la banlieue, de celui de tout individu perdu, au califat il n’y a que le prix d’un billet d’avion. On a vu la racaille, en faisant l’apprentissage du pouvoir, d’affaires occultes et souterraines, occuper peu à peu des immeubles puis la rue puis des territoires, créant ainsi des zones de non-droit puis la mythomanie du califat. Il s’affranchit en plein jour aidé par la porosité du tissu social, cette collectivité incapable de faire face et préférant soit se taire soit lui trouver des excuses (la victime) soit au contraire créer des amalgames pour dénoncer des populations entières.
Notre société médiatisée à la recherche du spectaculaire stimule les faiseurs de nuisances en les transformant en sombres héros du jour. Médias et réseaux sociaux sont leurs moyens de propagande. De cette mentalité mafieuse sont issus Daesh. Ils partent des mêmes vues. Ces nouveaux barbares s’affichent avec les représentations du moment. L’amalgame du détournement d’une religion avec certains rituels déviants.
Comment l’humain a-t-il pu à travers l’histoire s’adonner aux pires tortures. En aliénant ses émotions en des mythes de pacotilles. Le rituel, le sacrifice, l’appel, la croisade, Disney Land. À l’origine le rituel servait de passage d’un état d’existence à un autre. Chez les Aztèques le capitaine vainqueur d’une équipe de jeux avait l’honneur d’être sacrifié en se faisant arracher son cœur palpitant. Ainsi il accédait au paradis supérieur, celui des héros de guerre et des femmes mortes enceintes. Les mythes cosmogoniques de ces cultures sont imprégnés de références aux sacrifices humains comme un élément nécessaire au fonctionnement et à l'équilibre du cosmos. Les dieux étant source de vie nous leur redonnions la nôtre pour que l’échange cosmique s’accomplisse. Chez les cueilleurs chasseurs l’animal était une déité offrant sa vie pour que l’homme survive. Ainsi une prière lui était offerte avant de trépasser. Au fil du temps on remplaçât les héros par des prisonniers. C’était d’évidence moins risqué. Existe de nos jours toujours cette cérémonie dans chaque église perpétrée par le croyant buvant et mangeant le sang et le corps du Christ. Pris dans son sens littéral le sang participe à un acte sacré. Les malades de Daesh actent cette pantomime par l’égorgement de leurs prisonniers, en transformant les petites filles en bombes humaines ou en s’entourant eux-mêmes d’explosifs.