PREAMBULE
        
        
PARIS XIe ARRONDISSEMENT
Mon appartement se trouve à une demi-station du  massacre de Charonne et à une station de celui du Bataclan. 
Pourquoi un quartier chargé à travers les siècles de révoltes, de passions et d'idéaux,  ayant trouvé un répit lors des trente glorieuses, puis se métamorphosant  docilement dans son embourgeoisement, se fait rattraper par l'histoire?
Comme si les fantômes du passé revenaient nous visiter pour pleurer ou se  nourrir du sang d’une nouvelle jeunesse.
PRÉSENTATION
A trois minutes le Père Lachaise - le mur des fédérés – à l’autre extrémité de  la rue de la Roquette le faubourg St Antoine et la Bastille - au bout de ma rue  les dalles de la guillotine faisant face à l’ancienne prison de femmes de la  Roquette dont 200 squelettes décapités seront exhumés lors d’un projet de  développement de mon école, rue Léon-Frot. Mon immeuble des années 40 auparavant  une autre prison pour les condamnés à mort. 
Un quartier populaire où, dans les années 50, un cri suffisait pour rameuter  tous les voisins à la rescousse - les enfants dans la rue - de toutes origines  - les gangs - la mixité - les rêves communs – les confrontations entre  discernement et aprioris, legs de nos parents - cruauté - fraternité - puis  l'adolescence – l’affirmation individuelle – plus tard encore l'économie  chancelante - beaucoup d'ateliers d'artisans ferment - et se transforment en  lofts par une nouvelle génération, la nôtre, venant d'autres quartiers - des  artistes surtout et des marginaux - puis les restaurants et boutiques atypiques  conçues par et pour eux. Finalement un renouveau - un aimant pour les  générations Y puis Z, celles-ci souvent prises en charge de plus en plus durablement  par leurs parents, ceux parmi nos amis qui se sont finalement mariés - avenir  "guillotiné" par d’autres du même âge, s’étant mis à les détester. Ceux-là  connaissent forcément le quartier ne serait-ce que par ouï-dire – car ils ont  pour projet la destruction de la grande croix, cet axe formé par le boulevard  Voltaire et la rue de la Roquette, ciblant la jeunesse agglomérée le long du  Boulevard, de République à la Nation – deux symboles de la révolution –  immolant tant de vies le long de leurs escales meurtrières de Charonne et du  Bataclan.
Les rues de mon quartier ont formé les différents terrains de jeu depuis  lesquels se sont affirmés les choix identitaires des hommes dans leurs  histoires respectives. Jeux de violence pour certains et parodie de violence  pour d’autres.
Nous jouons à faire la guerre. Soixante ans plus tard la guerre vient se jouer  de nous. De nouveau le sang. Finie la liberté de jouir ? Bonjour aux  nouvelles passions – égarées celles-là ? Épanouissement de nouveaux terrains de  jeux, ceux d’un nouveau monde devenu le spectacle de lui-même, où chacun  s’enrichit de façon factice d’idées de soi et des autres, où l’on produit et  consomme du pollué et de l’inéquitable, où le principe de démocratie s’érode au  profit d’un malentendu, celui de la liberté dévoyée par une pratique égoïste du  chacun pour soi ? Où le principe de bonheur se confond avec celui de la  réussite, tant qu’à faire au détriment de celle des autres ? Et en  finalité des laissés-pour-compte, frustrés de leurs rêves, mis à plat par la  fin d’un paradigme, celui de l’assurance d’un travail, permettant de doucement  s’élever socialement.