UNE AUTRE ÉCOLE
Lors d’une visite à l’école américaine de Paris à Saint-Cloud, un grand complexe pour les enfants des officiers de l’armée de l’OTAN, mon père me propose de passer une heure dans une de leurs classes. Nous sommes au début des années 60. En France nous avons toujours les cours magistraux, la sévérité, la séparation des sexes. Ici, je m’imagine par conséquent subir la rigueur martiale de la discipline.
À mon grand étonnement garçons et filles se côtoient. Environ un tiers des élèves sont debout ou assis en tailleur autour de la maitresse tandis que les autres, formés en groupes spontanés, jouent, discutent ou apprennent un sujet choisi par eux. Certains viennent consulter leur maitresse un petit instant. Ils ont mon âge, c'est-à-dire à peu près 9 ans. Un petit magasin ambulant propose des produits et certains enfants sont les vendeurs et les autres des acheteurs, les transactions faites en faux billets. Je suis le seul poliment assis à ma table. Je n’en reviens pas. Nous sommes dans une base militaire. D’ailleurs à Noël le père Noel arrive avec ses cadeaux en hélicoptère. Les parents sont tous des gradés en uniforme. Pourtant jamais je n’ai fait jusqu’à ce jour une telle expérience éducative ouverte. Il n’y a pas de conflits. La maitresse parle doucement avec ceux qui l’entourent. À moi de choisir quoi faire. Personne ne me demande si je dois ou si je veux faire quoi que ce soit. C’est la seule chose que je pourrais leur reprocher. J’aurais aimé qu’on m’aborde et me motive mais sans doute le fait d’être nouveau et uniquement de passage on aura voulu me laisser tranquille. De plus je fus présenté comme un petit Français bien que je sois bilingue. On converse en Américain alors que tout le monde emploi dans son quotidien forcément la langue de Molière. Ces enfants font des expériences sur le tas, apprennent les responsabilités de l’engagement et du rapport avec l’autre, comment négocier, partager et travailler ensemble sur des projets communs. Tous dotés déjà d’un petit bagage d’entrepreneur. Je sors de là comme d’un rêve que je n’aurais pas osé aborder.
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LES RAISONS INTIMES DE NOTRE PRÉSENCE
Chacun à son fantôme plus ou moins translucide ou opaque selon la conscience qu’il a de la part de son devenir non encore dévoilé. Imaginons une salle de classe mais seulement du point de vue de l’angle d’une multitude inconsciente faite d’espoirs et de doutes. Rangées de spectres frétillants dans ses carcasses embarrassées. Il y a ici des érudits très soucieux de ce qu’attendent d’eux leurs instructeurs. Également, il y a ceux très préoccupés à rester invisibles. Du premier au dernier de la classe chaque ectoplasme fait connaissance avec cet organisme issu d’une confusion d’esprits fédérés par la contrainte.
De l’amalgame invisible que constitue cet inconscient collectif serait nécessaire un magicien capable de mettre en œuvre des espaces de rencontres afin de permettre à chacun de doucement dévoiler les raisons intimes de sa présence. Car tous de se dire : « qu’est-ce-qu’on fout là ? »